vendredi 14 août 2009

Lecture : Chagrin d'école, 1

"-Cinquante-cinq minutes de français, expliquais-je à mes élèves, c'est une petite heure avec sa naissance, son milieu et sa fin, une vie entière, en somme.
Cause toujours, auraient-ils pu me répondre, une vie de littérature qui ouvre sur une vie de mathématiques, laquelle donne sur une pleine existence d'histoire, qui vous propulse sans raison dans une autre vie, anglaise celle-là, ou allemande, ou chimique, ou musicale...Ca en fait des réincarnations en une seule journée ! Et sans aucune logique ! C'est Alice au pays des merveilles, votre emploi du temps : on prend le thé chez le lièvre de mars et on se retrouve sans transition à jouer au croquet avec la reine de cœur. Une journée passée dans le shaker de Lewis Caroll, le merveilleux en moins, vous parlez d'une gymnastique ! Et ça se donne des allures de rigueur, par dessus le marché, une absolue pagaille taillée comme un jardin à la française, bosquet de cinquante-cinq minutes par bosquet de cinquante-cinq minutes. Il n'y a guère que la journée d'un psychanalyste ou le salami du charcutier pour être découpés en tranche aussi égales. Et ça toutes les semaines de l'année ! Le hasard sans la surprise, un comble !

Chagrin d'école, Daniel Pennac, folio, p129