lundi 30 mai 2016

Le Brigaudiot nouveau, notes de lecture (18) : découvrir la fonction de l'écrit

Objectif 6. Découvrir la fonction de l’écrit

INTRODUCTION

Il produit des effets sur quelqu’un parce que c’est une trace de l’activité langagière d’une autre personne.
Nous avons donc à montrer à tous, en maternelle, qu’un écrit est quelque chose qui « dit » quand on le lit et qui permet de « dire » quand on l’écrit. C’est ce qu’on appelle ici « fonction » de l’écrit, qu’on pourrait appeler « nature » de l’écrit ou « pouvoir » de l’écrit, peu importe.
(…) Quand je dis qu’ici que les enfants seront en production d’écrit, ça ne veut pas du tout dire qu’ils vont le faire seuls, ça veut dire qu’ils vont le voir faire. On est donc, au départ en PS, en amont de la ZPA : le maître intervient lui-même dans du « pas encore là »

On distinguera 3 types d’écrits en prenant le point de vue des enfants que nous accueillons en maternelle :
- les écrits courts, qu’ils vont tous voir produire et voir utiliser dès la première année,
- les écrits moyens, plus longs, utilisés de temps en temps et pas dans toutes les classes,
- les grands écrits, qui seront réalisés sur des périodes longues parce qu’ils nécessitent beaucoup de travail.

Les petits écrits sont les dessins et les prénoms. Il faudrait ajouter les nombres que nous ne traitons pas dans ce livre. Les écrits « moyens » sont le calendrier, les pense-bêtes, le carnet de correspondance, les messages.
Ces petits et moyens écrits sont les meilleures productions pour travailler cet objectif 6.
Les grands écrits sont les panneaux informatifs destinés aux parents et les histoires inventées et écrites pour les familles. Ces grands écrits sont les meilleures productions pour travailler l’Objectif 7 (…)

A. Les dessins

C’est parce que les adultes mettent du sens dans un tracé que les enfants vont avoir envie de continuer (…) les enfants vont très tôt offrir leurs dessins. Sur le plan cognitif cet acte est décisif pour l’Objectif 6. Il scelle la valeur symbolique du tracé comme partage. Il faut donc en profiter en classe : valoriser les exploits-dessins, les afficher avec les enfants pour les montrer aux familles et aux autres enfants de l’école, choisir ce qui est offert et à qui, mettre les destinataires dans la connivence pour qu’ils valorisent, eux-aussi le tracé. (…)
Le fondement de la fonction de l’écrit est en place : il sert à transmettre ou produire un effet sur autrui.

B. Les prénoms

Je propose de revoir profondément l’utilisation de cet écrit particulier.

Tout d’abord, il doit garder son statut privilégié,
- parce qu’il est tracé très tôt en famille et qu’on a là une belle continuité famille-école,
- parce qu’il est le tracé linguistique possédant la plus forte valeur symbolique qui soit, celle du sujet enfant.
Notre travail consiste donc, pour cet objectif, à montrer et à expliquer aux enfants les valeurs possibles de cet écrit, dans le contexte classe.

Un prénom, dans une classe, est un moyen :
- de fixer la présence d’un enfant dans le lieu-classe (…)
- de fixer l’appartenance de quelque chose à un enfant (…)
- de donner une place à chaque enfant du groupe (…)
- et bien sûr de fixer l’identité d’un enfant (…)



PS
Le travail du maître  
- En tout début d’année : M prend plusieurs jours pour écrire le prénom de chaque enfant, devant lui.
- Une fois que tous les enfants ont assisté à cette production du maître, il montre d’où viendront les exemplaires d’étiquettes-prénoms qu’ils auront. Ils doivent savoir qu’elles sont toutes identiques
- Quand tous les enfants ont leur « page » de prénoms, en ateliers, ils les découpent, les rangent dans une boîte, dans leur casier et M leur explique la « fonction » de ce mot écrit pas comme les autres.
- L’appartenance est en place. Après chaque production, M donne l’habitude aux enfants de coller dessus leur étiquette-prénom. Et il rappelle son intérêt.
- M est rigoureux dans la désignation de ces tracés          (devant un prénom éviter de dire « c’est toi » ou « c’est ton étiquette » et dire « c’est ton prénom, c’est écrit Sonia »
- On peut passer aux fonctions identité et présence. M explique.
Tout ça doit être entendu par les enfants pour qu’ils se sentent en sécurité et qu’ils comprennent que l’école est une seconde maison dans laquelle les adultes se soucient d’eux.
C’est le cahier d’appel qui justifient ces étiquettes            de présence que tout le monde utilise.   (…)  (Dans son cahier d’appel, le maître) valide ainsi le travail des enfants

- L’écriture du prénom devant chaque enfant est pratiquée chaque année, à la rentrée, en PS, en MS, en GS. En GS elle devient l’écriture du prénom et du nom.

A partir de la MS et jusqu’en fin de GS, le maître peut utiliser le prénom écrit pour désigner la place de chaque enfant (panneaux d’ateliers libres, etc.)

Par ailleurs, dans le courant de la MS, un événement est présenté par le maître : « maintenant que vous savez tous écrire votre prénom et que je peux le lire, vous ne collerez plus votre prénom sur votre travail, vous l’écrirez

C. Le calendrier

(…) l’écrit relatif au temps (est) un moyen d’obtenir des effets, essentiellement :
- pour repérer une date, en retrouvant le jour où quelque chose a eu lieu antérieurement ou en notant le jour où quelque chose va se passer dans le futur,
- pour évaluer une durée, ce qui nous sépare d’un moment, ce qui sépare deux moments entre eux.
Ce sont ces usages qu’il faut faire découvrir aux enfants. Les calendriers ne sont que des outils.

D. Les pense-bêtes

Curieusement, les pense-bêtes sont utilisés en maternelle, mais à l’insu des enfants, ou presque. C’est pourtant un bon moyen pour expliquer aux enfants la fonction de l’écrit.
Les pense-bêtes peuvent être des listes. (…) Il faut avoir le réflexe « de l’écrit » devant les enfants, en connivence. (…) Il utilise des post-it.

E. Le carnet de correspondance

Le carnet de correspondance est un des moyens les plus simples à utiliser pour atteindre l’Objectif 6. Il a pour fonction d’informer les parents.
Dès la PS, et tout au long du cycle, il faut absolument que les enfants sachent à quoi sert ce carnet et ce qu’il contient. Si une information est purement administrative, elle est lue par la maîtresse et expliquée. Si elle touche la vie de la classe, elle est écrite devant eux, photocopiée avec eux, collée dans le carnet par eux. Avant la sortie de classe, la maîtresse leur rappelle ce qu’ils ont mis dans leur carnet et s’ils auront à demander aux parents de répondre. Quand c’est le cas, la maîtresse reprend quelques carnets à leur retour et montre des réponses aux enfants.

F. Les messages

L’immense intérêt d’un message est d’être un écrit court, au contenu qui intéresse les enfants, clairement identifié dans son moment de production, son auteur, son destinataire et son effet attendu. On ne peut pas espérer mieux ! Les messages seront donc produits, d’abord devant les enfants, puis avec les enfants, puis par les enfants tout au long du cycle.

Les messages dans la vie réelle

Toutes les occasions sont bonnes (…). Les conditions pour atteindre l’objectif sont :
- que les enfants assistent et/ou participent à la production,
- qu’il y ait toujours un ou des enfants témoins de l’effet du message.

° En PS, comme avec les écrits précédents, c’est l’enseignant qui explique tout aux enfants et écrit devant eux. Plus les enfants sont concernés par le message, plus ils en comprendront l’effet.
(…) Les enfants ne sont pas très au clair jusqu’en MS (…) J’appelle cette expérience « vivre la boucle de l’écrit » car chaque enfant est à la fois auteur d’un écrit et récepteur de son effet.
Remarque :
Pour que les messages fonctionnent dans une école, tous les adultes (équipe d’école) doivent être d’accord sur le principe : il s’agit d’un véritable outil de travail.

° En MS ou en GS une visite préparée et commentée de la Poste est très intéressante. On commence par expliquer aux enfants qu’ils vont s’envoyer quelque chose par la poste et qu’ils vont apprendre plein de choses avec ce jeu. (…)

° A parti de la GS, selon les habitudes d’écriture individuelle régulière des enfants, une commande peut leur être adressée. (…)

Cependant cet objectif 6 est difficile pour certains enfants. C’est pourquoi, à partir de la MS, il faut faire plus avec les enfants prioritaires : le maître travaille la production d’un premier message, en atelier avec eux, puis il recommence ne collectif avec tous les enfants.
Ainsi, les enfants prioritaires assistent deux fois à la production du même message et peuvent constater qu’il ne s’agit pas exactement des mêmes formulations. C’est une manière de leur donner de l’avance.

Bien sûr, il est très intéressant d’expliquer aux enfants qu’il y a d’autres moyens de « se parler en écrivant » et de les leur faire vivre :
- une expérience de texto (…)
- une expérience de courrier électronique
On profite de ces expériences pour montrer et expliquer ressemblances et différences des différents écrits (dans un courrier sur papier vs électronique) : comment on sait qui a écrit, à qui, et quand il l’a fait.

Les messages dans la vie réelle

Il s’agit du croisement du travail intellectuel de production d’écrit évoqué précédemment ET de la prise en compte des états mentaux de personnages de fiction connus. D’une part les enfants adorent, d’autre part, le maître a, là aussi, une évaluation bien intéressante.


De très nombreuse histoires permettent cette situation-problème :  que pourrait bien écrire X à Y pour que … ? (…)

extraits de Langage et école maternelle, Mireille Brigaudiot, ed. Retz

dimanche 29 mai 2016

Le Brigaudiot nouveau, notes de lecture (17) :Ecouter de l'écrit et comprendre

Objectif 5Ecouter de l’écrit et comprendre

Avec cet objectif l’école maternelle veut que les enfants commencent à traiter en quelque sorte une autre langue que le français oral qu’on appelle l’écrit. (…) Un maître qui utilise tout le temps des paraphrases a une attitude-clé pour cet objectif : ce sont des reformulations d’un sens équivalent, avec d’autres mots, parfois en expliquant et en développant c’est une aide considérable pour les enfants, ils vont s’emparer de cette habitude.

A l’école maternelle, avoir une culture littéraire veut dire : pouvoir reformuler des histoires connues, y penser, faire des liens entre ces histoires, anticiper lors de nouvelles histoires entendues, leur empreunter des scènes pour jouer et imaginer d’autres histoires.

A. Les histoires écrites

Grâce au travail fait avec les Objectifs 2 et 3, les enfants ont pris l’habitude de regarder des livres et d’entendre raconter des histoires. Ce travail est ici poursuivi avec l’écoute de lectures à voix haute de textes d’auteurs.
(…) de nombreuses séances de travail auront lieu avant qu’on puisse lire des histoires seulement écrites, sans support illustré, en GS.

Voici quelques repères de particularités linguistiques des textes de littérature enfantine.
- Ce sont des textes longs ou très longs.
- Le narrateur renvoie aux illustrations pour repérer les personnages
- Le moment temporel de démarrage est également « présentifié » par la seule illustration
- Le temps verbal dominant dépend de ce démarrage
Du vocabulaire et des formules verbales  du texte peuvent être plus ou moins éloignés des enfants.
- Les textes peuvent être émaillés de  passages d’une autre nature linguistique que purement narrative

Attention ! il est hors de question de faire entendre aux enfants de l’oral qui serait écrit-transcrit, voire édité dans un livre.

B. Comment choisir les albums  à lire

4 critères pertinents pour la compréhension des enfants
Le but est la constitution d’un fonds d’albums  pour l’école (…) L’expérience nous laisse penser que chaque enfant peut avoir entendu une centaine de lectures de livres sur la totalité du cycle maternelle.  L’équipe enseignante a donc à sélectionner des titres afin de savoir qui utilise lesquels durant son année. Sachant qu’un même album peut être utilisé différemment d’une année sur l’autre.

Critère 1 : les personnages et leurs aventures

« schémas narratifs » (…) On n’a peut-être pas besoin de les conscientiser, de les « durcir » (…) encore moins de les faire appliquer.

Critère 2 : les états mentaux, moteurs de l’avancée sur l’histoire
Ils deviennent de plus en plus difficiles à appréhender au fur et à mesure qu’il y a un ressenti ou une pensée de l’un des personnages au sujet d’un ressenti ou de la pensée d’un autre personnage. Et c’est encore plus difficile quand cet ajustement a pour but de tromper l’autre.

Critère 3 : les connaissances du monde
(…)Elles sont souvent liées au statut des animaux

Critère 4 : la difficulté du texte lu

Ces critères sont numérotés de 0 (pas d’obstacle à la compréhension) à 4 (niveau de difficulté maximal pour la compréhension. (…)
Ex : Petit Ours Brun a peur du noir : 0-1-0-0
Bon Appétit Monsieur Lapin : 1-1-3-1
Roule Galette : 2-3-3-2

(…) Pour utiliser un album en vue de la compréhension de l’écrit, le critère personnages/aventures de notre proposition donne une indication de niveaux de classe : 1 et 2 pour PS et MS, 3 et 4 pour MS et GS. (…)
Si on veut rester dans la  ZPA de tous les enfants, il vaut mieux cibler du narratif (il y a une histoire) avec un début et une fin facilement repérables et avec des illustrations analogiques qui donnent des appuis cognitifs aux enfants.

C. Comment utiliser les albums  à lire pour que les enfants comprennent

Ce qui est le plus important est la clarté cognitive du maître i Il doit toujours dire clairement soit « je vais raconter l’histoire » soit « je vais lire le livre ».
(…) l’accès
- aux états mentaux difficiles est facilité par des explications et le recherche de détails dans les illustrations, souvent après une lecture,
- aux connaissances du monde est facilité par des explications, des recherches documentaires, des rappels d’autres histoires, souvent avant la lecture,
- aux textes difficiles peut être « préparé » par l’histoire racontée et/ou mimée, avant la lecture.

Par ailleurs, les rappels de récits sont les meilleures situations d’évaluation, à condition qu’ils ne ressemblent pas à des épreuves formelles. (…)
Les activités de compréhension sur un même album lu occupent souvent plusieurs semaines, bien sûr à côté d’autres activités.

D. Et l’acte de lecture !

Conseils

° PS
- Après avoir appris une comptine, apporter sa fiche, la montrer et expliquer aux enfants : « de ce côté j’ai mis un dessin parce que vous ne savez pas encore lire et de l’autre j’ai tapé le texte de la chanson avec mon ordinateur. Moi je lirai ça » et elle montre l’écrit. A partir de là, des petites blagues sont possibles (…)
- Avec un livre connu, en atelier et en attention conjointe, lire et demander à chaque page où il faut regarder pour lire la suite.

° MS et GS
- Donner aux enfants l’habitude de ne pas interrompre la lecture en leur expliquant pourquoi.
- Inviter des CP ou des CE1 pour venir lire devant les enfants.
- Lire en lecture silencieuse de temps en temps, pour soi, en l’expliquant aux enfants (…)

- Lire de temps à autre des textes écrits sans illustrations (…)

extraits de Langage et école maternelle, Mireille Brigaudiot, ed. Retz

samedi 28 mai 2016

Le Brigaudiot nouveau, notes de lecture (16) : problématique de l'écrit

INTRODUCTION A LA PROBLEMATIQUE DE L’ECRIT EN MATERNELLE

On a vu que l’oral, à l’école maternelle, ne nécessite pas de progression d’enseignement. (…)
Pour l’écrit, c’est très différent (…)
La question est le lien que peuvent faire les enfants entre des écrits, dont ils connaissent les utilisations, et le code. (…)
La proposition que je fais est de montrer-expliquer aux enfants :
- que nous pouvons « fixer » du langage par écrit (et là on sera dans la vraie vie du langage)
- que nous avons des contraintes culturelles pour réussir cette activité (qu’on appelle « la langue écrite », différente de l’oral) et des contraintes de codage pour que cet écrit soit décodable par autrui.
J’appelle cette manière d’enseigner : « aller du langage à la langue et pas l’inverse ».
(…) Ce choix est décisif. Il rend le travail intéressant pour les enfants et intéressant pour les maîtres.
(…) On va donc les mettre en situation d’assister à maintes « transformations » : du langage écrit sera oralisé (lecture), du langage oral prendra la forme de textes écrits (écriture). C’est ce que j’appelle « avoir de nombreuses expériences de l’écrit ».

(…) Repères (…)

PS. Ils voient, reconnaissent et nomment des « trucs » qui sont pour nous des lettres
PS. Ils miment l’écriture cursive en imitant notre geste graphique
PS. Ils dessinent et offrent leurs dessins en cadeau à quelqu’un
PS. Ils tracent leur prénom en capitale et disent « c’est moi »
PS-MS. Ils savent qu’ils retrouvent une histoire déjà entendue dans un livre en regardant les images et en tournant les pages
MS. Ils sont fiers d’écrire tout seuls leur prénom
MS. Ils découvrent que le maître qui racontaient des histoires peut aussi les lire et ils n’entendent pas la même chose
MS. Ils font semblant de lire en « parlant » un texte connu avec suivi du doigt
MS. Ils comprennent que le maître peut tout lire et qu’il peut écrire à quelqu’un
MS. Ils découvrent que le destinataire de ce « tracé » retrouve ce qui a été dit et écrit par le maître
MS-GS. Ils comprennent qu’en écoutant la parole du maître, ils peuvent repérer « des bruits »
MS-GS. Ils découvrent que le maître utilise ses oreilles pour trouver les lettres qu’il écrit dans un mot
MS-GS. Ils découvrent que tous ceux qui lisent le même écrit comprennent-« disent » la même chose
MS-GS. Ils comprennent que s’ils parlent lentement le maître peut écrire ce qu’ils disent et qu’il peut relire ce qu’ils ont dit.
MS-GS. Ils demandent à écrire en coursive comme les grands
MS-GS. Ils se mettent à écrire partout
MS-GS. Ils découvrent qu’ils peuvent trouver les lettres qu’il faut pour écrire un mot, en utilisant leurs oreilles
GS. Ils utilisent les lettres avec leurs « apparences différentes »
GS. Ils découvrent qu’ils peuvent écrire tout seuls
GS. Ils dessinent et écrivent tout seuls et offrent leur message en cadeau à quelqu’un

extraits de Langage et école maternelle, Mireille Brigaudiot, ed. Retz



jeudi 19 mai 2016

Le Brigaudiot nouveau, notes de lecture (15) : le problème de la "conscience phonologique"

Objectif 4. Commencer à réfléchir sur la langue et acquérir une « conscience phonologique »

2.4.A. Problématique

(…) (cet objectif) est le dernier de la partie sur l’oral dans le programme. Ce n’est pas le hasard : il s’inscrit dans les pratiques orales des enfants ET il est une condition pour les premières conquêtes de l’écrit. L’Objectif 4 est donc à considérer comme une « charnière » entre oral et écrit.

Il s’agit d’un objectif très particulier qui a pour objet de conduire les enfants, et même de les « obliger », à quitter, un moment, leur activité naturelle de langage. Car il n’y a pas de continuité entre les activités en langage et sur la langue. Il y a rupture. (…) Ainsi, les activités langagières et les activités sur la langue appartiennent à deux mondes.
Pour comprendre cette question centrale, source de très nombreux échecs scolaires, il faut admettre la non-continuité entre 2 niveaux d’analyse :
- le niveau des textes, produits de l’activité langagière d’un sujet. Ces textes sont porteurs de sens, que les auteurs ont construits en les prononçant/écrivant. (…) La totalité des énoncés s’appelle un texte.
- le niveau des unités plus petites, les syllabes et leurs composants les phonèmes. (…) Ces unités n’ont ni sens ni signification. (…) La syllabe est donc une unité linguistique utilisée très tôt mais de manière totalement non-consciente.
Or, dans l’objectif 4 du Programme, les enfants doivent « acquérir une conscience phonologique ». Je suis très réticente. (…)
En conclusion, cet objectif relève plus d’un « apprivoisement » aux composants d’une langue que d’une réflexion à son sujet.

(…) pourquoi ? (…)
Alors que les enfants savent parler, ils vont devoir comprendre que le français écrit utilise un système alphabétique fondé, en grande partie, sur un codage des phonèmes (…). Ils doivent avoir découvert le « principe alphabétique » c’est-à-dire avoir découvert que les lettres sont des signes à double statut : un recto qui est leur forme et leur nom, un verso qui est leur valeur sonore (phonème). Il faut absolument travailler le double statut simultanément. (…) Cette sensibilisation n’est pas un objectif en soi, ce n’est qu’un des moyens pour atteindre l’Objectif 8 : découvrir le principe alphabétique.

2.4.B. Progression d’enseignement

Formation Eléments de phonologie du français
               Et incidences dans la classe
Une syllabe (sonore) est un groupe sonore contenant une et une seule voyelle. Ne pas confondre avec les syllabes écrites. (…)
Vers 3 ans, les enfants savent frapper les syllabes d’un énoncé sans problème parce qu’e c’est une capacité précoce. C’est donc ce qui explique que nos élèves de 5-6 ans qui auront découvert le principe alphabétique commenceront souvent par encoder les syllabes facilement perçues.  Encoder veut dire coder une unité sonore en l’écoutant par auto-prononciation. (…) C’est tout ce qu’on veut pour la fin de la GS avec l’Objectif 8 du Programme.

2.4.C. Conseils aux maîtres

Ce qui est perturbant pour les maîtres est le fait d’avoir un objectif ne visant QUE l’écrit et qui ne peut être travaillé par les enfants QUE dans l’oral. Cela leur donne envie de faire travailler les enfants sur des supports papier, ce qui va noyer les enfants prioritaires. (…)

On peut donc commencer par ce qui est à éviter :
- ne pas demander aux enfants de trouver eux-mêmes, dans l’univers de la langue, des petites unités. Ex : trouvez des mots où on entend oua »
-  ne pas donner aux enfants de matériel écrit ou dessiné à manipuler.

PROGRESSION D’ENSEIGNEMENT

L’enseignant doit avoir ici l’obsession de ne pas perdre d’enfants.
Les principes de travail sont les suivants :
1. le maître survalorisera les essais spontanés des enfants.
2. il ne demandera pas aux enfants quelque chose dans l’univers des petites unités sonores car les enfants fragiles seraient perdus. Il va sélectionner des éléments de la langue (…), les décontextualiser devant eux (« dans Nono on entend 2 fois no, no-no ») leur demander d’écouter (c’est bien plus qu’entendre) puis d’en dire quelque chose
3. les moments de travail sur la langue doivent être des jeux. J’appelle jeux phoniques ces jeux portant sur les petites unités de langue (…)

> TPS
Aucune véritable activité sur la langue n’est possible. Les enfants auront cependant à répéter des comptines et des chansons

> PS
Toute l’année, le maître fait apprendre des comptines et des chansonnettes qui permettent d’entendre nettement les syllabes. Il choisit des textes avec des rimes ou des assonances. (…) Dans le cours de l’année, une fois que les enfants en savent beaucoup, le maître peut attirer leur attention sur la langue en donnant à entendre les textes sans mélodie (en parlant, sans chantonner) et avec des syllabes remplacées par un bruit. C’est le jeu « retrouver la comptine ». On leur dit à quoi ça servira : « vous commencez à écouter les bruits qu’on fait quand on parle, ça vous servira beaucoup pour apprendre à lire et à écrire. »

> MS
En début d ‘année, le maître reprend ces comptines bien connues des enfants et annonce qu’il va faire d’autres jeux.
Le « jeu des rimes » : « comme vous connaissez toutes les comptines de l’an dernier qu’on a redites, je vais vous demander plus difficile, il faut travailler avec ses oreilles pour trouver ce qu’on entend de pareil. (…) Il le dit lui-même, segmente des morceaux rimés, monte la voix sur la rime. Les enfants continuent sur d’autres exemples, toujours en réception, et il ne leur demande pas de fabriquer des rimes.
Ces jeux sont quotidiens, rassemblés sur des périodes, car les enfants mettent longtemps à comprendre ce qu’on leur demande. Une fois le jeu réussi par tous les enfants, une nouvelle série est présentée. Par exemple le « jeu des onomatopées ». Suites de syllabes non-ordinaires et répétées, elles sont facilement discriminées très tôt chez les tout petits. Pour faire trouver aux enfants qui ou ce qui fait ce bruit, il faut les dire sans intonation marquée, puis avec l’intonation une fois qu’ils ont trouvé : avec les cris d’animaux (…) Le but n’est pas que les enfants reconnaissent les onomatopées du premier coup mais qu’ils soient attentifs dans leur écoute.
Avec le jeu « retrouver l’enfant » on travaille sur les suites prénom+nom

> GS
A ce niveau, il faut s’habituer à faire ces jeux avec les enfants les moins performants, quitte à ne garder plus que les enfants prioritaires à certains moments. Car autrement c’est un moyen infaillible pour creuser les écarts.
Pour tous, l’important est ici d’attire l’attention des enfants sur ces « bouts de langue ». je ne suis pas favorable à des entraînements visant à la virtuosité.
Durant cette année, on va « descendre »au niveau des phonèmes, avec des précautions. (…) le « jeu des petits bruits de mon prénom » (…) Avec d’autres mots que le maître décontextualise lui-même, c’est aussi possible s’il les donne aux enfants en prenant soin de circonscrire un champ précis : …fruits et légumes.
On peut considérer que ce niveau d’expertise (parce que c’en est une) suffit pour aider à la découverte du principe alphabétique. On n’ira pas plus loin.

A tous les niveaux


Je suis persuadée que ce recul sur la langue est une habileté qui est renforcée dans les familles où règnent les plaisanteries. Je les conseille aux maîtres. C’est aussi une habitude (…) Ces irruptions, qui sont des ruptures dans le langage du maître, non seulement créent de la connivence avec les enfants, mais les rendent aussi extrêmement attentifs aux paroles magistrales.