mercredi 7 mai 2014

Comment apprendre à lire grâce à un aspirateur

Grand-père Aharon comme son frère ainé, je l'ai signalé, était très doué pour les paquets. Oncle Yeshayahou plaça donc le sweeper et sa boîte en carton enveloppée de toile dans une caisse en bois tapissée de chiffons, de journaux et de sciure. Après quoi, il referma le couvercle et appela un de ses ouvriers pour clouer des ferrures autour du cadre.
     Cela fait, oncle Yeshayahou l'envoya acheter dans une quincaillerie un bidon de peinture à l'huile noire, une petite brosse et les lettres pochoirs A, D, E, V, H, I, T, L, N, O, P, S, U en laiton et à son retour, il lui demanda de tracer deux inscriptions sur la caisse.
     Ma mère en nota une sur un bout de papier, au dessous de la liste de lettres :
                SAVNA TONIA
                NAHALAL
                PALESTINE

L'autre, THIS SIDE UP, était destinée à empêcher le sweeper de voyager à l'envers au risque d'avoir mal à toutes ses têtes en même temps et de se sauver à son tour.

La première fois que j'ai entendu cette histoire, j'avais six ou sept ans, et ces treize lettres étaient les premiers caractères latins que je voyais. Voilà comment les mots inscrits par oncle Yeshayahou sur le conteneur et par ma mère devinrent ma pierre de Rosette grâce à laquelle j'appris à lire l'anglais.
A l'aide des lettres formant le nom du village, celui de grand-mère et "Palestine" dont maman m'expliqua le sens, je réussis à déchiffrer les stations gravées sur le cadran en verre de notre vieille radio: SOFIA, BERLIN, PARIS, ROME, ISTANBUL, etc. Et comme je les connaissais pour les avoir lus en hébreu sur mon globe terrestre, et que certains représentaient la destination de Ah l'ânesse, je n'eus aucun mal à apprendre l'alphabet au complet.
Ma grand-mère russe et son aspirateur américain, Meir Shalev


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