Chapitre 2. APPRENDRE : les chemins de l’oral
On rappelle que les enfants n’apprennent pas à parler pour
apprendre à parler. Ils apprennent
des choses du monde, des personnes, de la fiction et d’eux-mêmes en parlant avec des adultes.
Dans une interaction langagière entre un adulte et un jeune
enfant, il y a toujours deux enjeux : le contenu (ce qu’il apprend grâce
au langage) ET la forme (l’acquisition de la langue).
1.2.A. Comment et de quoi parlent les enfants de 2 à 6
ans
Pour bien travailler le langage à l’école maternelle, on est
obligé de faire la différence entre acquisition du langage et apprentissage de la (ou des) langue première. Tout simplement parce qu’un enfant peut être à
l’aise sur un plan et pas du tout sur l’autre et qu’il vaut mieux savoir
l’interpréter.
1.2.A.1. Le
langage, le sujet et la langue
terme-clé du langage
est le mot « activités »
au pluriel.
« Carburant » du bébé : sécurité affective et
langue qui lui est adressée
- la sécurité
affective : (…) D’où le doigté nécessaire aux adultes qui s’occupent
de lui afin de lui laisser juste ce qu’il faut de marge d’action pour se
construire et partir explorer le monde : ni trop, ni pas assez de
maternage, ni trop, ni pas assez de protection (…) Cela veut dire qu’en tant
qu’enseignants, nous devons être 100%
fiables, du point de vue des enfants.
- Notre approche de la langue est celle d’usages normés.
C’est trompeur quand on travaille en maternelle parce qu’on a tendance à
entendre, dans un énoncé d’enfant, ce qui ne va pas sur le plan linguistique (=de la langue) sans
pouvoir interpréter l’énorme activité langagière
(=du langage) qui soutient cet énoncé.
1.2.A.2. Des
repères dans les invariants de l’acquisition du langage
On appelle « invariants »
(les régularités) que l’on retrouve dans la majorité des descriptions, quelle
que soit la langue.
L’expression « l’oral » désigne à
la fois une activité et son produit. L’activité est celle d’une conversation (…) le produit est un
énoncé ou un groupe d’énoncés. On est dans l’énonciation au sens linguistique d’activités
de sujets qui se parlent « en je ». L’oral du quotidien est une activité totalement non-consciente.
> AVANT 3 ANS
Dans le face à face
Connivence. La
succession de séquences identiques fonde aussi chez lui les premiers repères temporels dans des scénarios connus de l’enfant.
Dans le côte à côte
L’enfant investit dès les premiers mois l’aspect symbolique du langage. Il construit du sens, il ne
mobilise pas du sens « déjà là » pour étiqueter le monde. Cette
précision a pour but d’abandonner une idée reçue selon laquelle les enfants
commenceraient par apprendre systématiquement le nom des choses pour en dire quelque chose plus tard. (…) C’est
le cas devant des imagiers qui permettent aux petits,
non pas d’apprendre des mots nouveaux, mais de stabiliser ceux qu’ils
connaissent déjà.
A ce propos, il y a une ambiguïté dans d’autres Programmes
pour l’École maternelle lorsqu’on y a opposé « langage en situation »
et « langage d’évocation ». Le langage est TOUJOURS symboliquement
d’évocation, par définition. La situation, elle, renvoie au fait que des
interlocuteurs sont en présence ou pas. Il est donc bon de différencier les conditions
de productions (elles sont variées) et symbolisme mis en œuvre (toujours
mobilisé).
Il faut être prudent lorsqu’on dit d’un enfant qu’il « ne fait pas de phrase ». La phrase
canonique, avec tous ses éléments, est un fait de langue. Et effectivement c’est normal qu’un tout petit ne produise
pas de « phrase ». En revanche, même avec deux mots, il parle, il est
en langage puisqu’il
symbolise : l’interprétation de « bateau
cocole » et la paraphrase que vont lui renvoyer les adultes est
« oui, tu avais fait du bateau avec
Nicole ». Cet énoncé adulte déploie la pensée de l’enfant, en langue
canonique. Il évoque.
> ENTRE 3 ET 5 ANS
Durant cette période les jeux symboliques occupent une place énorme
Pour comprendre la richesse d’un essai linguistique (…) il faut savoir que les enfants n’entendent
pas de mots, comme nous. Ils entendent des énoncés (…). Ceux-ci leur servent à
« découper » des unités qu’ils vont réemployer quand ils vont
retrouver les mêmes contextes. (…) La transcription phonétique vise à montrer
que l’enfant réemploie une chaîne sonore entendue, qui ressemble à celle qu’il
vient d’entendre. Il sait très bien ce qu’il veut dire, il ne « se trompe » pas de mot, il est en train de
l’isoler et pour l’instant le mot « boucle » se dit « boucle d’or »
A la fin de cette
période, les marques d’énonciation étant acquises, les temps verbaux, les
déterminants et les prépositions également, un enfant est compréhensible par
n’importe quel adulte.
Nouveau registre symbolique : humour, gros mots : tout début du métalangage
> A PARTIR DE 5 ANS
Le progrès dans l’utilisation de la langue, presque comme
les adultes, donnent de nouvelles possibilités à l’enfant dans le registre
symbolique de récits
complexes : il re-raconte des histoires entendues, il demande leurs
re-lectures et il en invente. Tout en continuant à « jouer à être »,
il peut créer personnages et événements de fiction uniquement par le langage.
Les jeux symboliques deviennent
complexes (…) (ils) adorent les jeux à plusieurs et aiment gagner (…) ils
savent dorénavant bien faire la différence entre jouer et travailler. (…)
défendre son point de vue oralement c’est investir totalement le langage. (…) Les phénomènes
physiques les intéressent (…) la compréhension de la psychologie des
personnes prend le premier plan, dans la vie réelle et dans la fiction.
Ces questions renvoient également au vocabulaire (…) c’est maintenant les mots précis que les enfants
demandent
1.2.B. Variétés dans les chemins d’acquisition
les âges sont des « moyennes » dans les invariants
Au début du langage, (…) certains enfants :
- (…) très parleurs
mais, pour l’instant, en baragouin
- parlent peu (…)
peuvent parler très tard et tout de
suite très bien
- deux langues
- plus complexe est la situation d’un enfant plus de 4 ans, très peu parleur ou mutique, avec des
parents non-francophones (…) Quand il arrive dans le groupe-classe, le maître
doit le présenter aux enfants et leur
expliquer à quel point il est difficile de vivre dans un lieu où tout le
monde parle beaucoup dans une langue qu’on ne comprend pas du tout. Il faut que
les enfants de la classe l’invitent à
participer à leurs jeux.
Les bons indices d’appropriation du français par cet enfant
seront :
- le fait d’imiter un voisin puis de montrer un
résultat au maître,
- l’utilisation du non-verbal,
- la production d’un seul mot en français, mais
qui résume toute une situation,
- la répétition de la fin des énoncés qu’il
vient d’entendre,
- sa participation aux chants et comptines dits
en collectif.
1.2.C. Les adultes dont les enfants ont besoin
Maîtres, quel que
soit votre niveau de classe, soyez naturels. Ce côté naturel englobe :
-
la bienveillance
-
l’usage d’un français oral « normal »
qui ne soit ni trop relâché (« c’est qui qui fait la date aujourd’hui ? »)
ni trop soutenu (« pouvez-vous me dire pourquoi nous sommes si peu
nombreux ? »).
Il y a cependant une différence fondamentale entre un parent
et un maître. Ce dernier réagit consciemment
et volontairement aux comportements des enfants. (…)
Formation Comment aider les enfants pour l’oral
> En
TPS et PS
- instaurer de la connivence, en veillant à respecter les
scénarios qui vont permettre aux enfants d’anticiper les choses, scénarios des
moments successifs d’une journée, scénarios dans les coins-jeux, scénarios des
livres feuilletés et commentés, etc.
- alterner le face à face et l’attention conjointe,
- rebondir oralement sur tous les essais linguistiques des
enfants.
> En MS
- multiplier les moments d’activités symboliques dans de la
fiction : jeux de faire semblant, histoires, comptines et chansons, et
jouer avec le langage en le « détournant »,
- rebondir oralement sur tous les essais linguistiques en
leur expliquant la valeur de ces essais, en leur donnant une image positive de
leur statut de sujet qui progresse,
- écouter 100 fois plus les enfants prioritaires et rebondir sur leurs productions plus souvent
que sur celles des autres.
> En GS
- garder des coins-jeux et instaurer quotidiennement un
atelier de jeux à plusieurs en associant grands parleurs et petits parleurs,
- rebondir oralement sur leurs propos en les paraphrasant,
et en ajoutant des prolongements, des explications, des définitions,
- souligner verbalement l’importance des relations des
enfants dans le groupe et valoriser leurs progrès,
- répondre à leur curiosité et leur permettre de discuter à
plusieurs.
On aura vu l’importance du langage du maître à tous les
niveaux. (…) La condition première est, pour le maître, une écoute exceptionnelle.
En entendant un énoncé d’enfant, le professionnel qu’est l’enseignant
peut l’interpréter en terme de zone de l’oral à reprendre : soit c’est un usage de la langue (souvent
assimilé à syntaxe et grammaire, on peut dire la forme de l’énoncé, soit c’est une question de notion lexicale (souvent
assimilé à vocabulaire, on peut dire le contenu de l’énoncé).
Si c’est l’usage de la langue qui est à travailler, deux
manières de réagir sont considérées comme plus efficaces que d’autres par les
recherches :
° en reprenant l’énoncé
de l’enfant mais avec la « bonne
forme » et en montant l’intonation sur l’élément modifié. (…)
On appelle ça le feed-back
par contraste
° en reprenant l’énoncé
de l’enfant mais en le commençant par l’élément
qui pose problème (…) on appelle ça le feed-back
par focalisation
Si c’est une notion lexicale qui est à travailler, le maître
doit déployer tout ce qu’il peut comme moyens pour éclaircir la notion et la
stabiliser :
° en reprenant l’énoncé
de l’enfant mais en y ajoutant un supplément
d’information en
reprenant l’énoncé de l’enfant (pratiquement
une définition)
° en utilisant les
procédés de comparaison et opposition (…) Il y a ici plus qu’une
définition. Il y a construction de la notion avec verbalisation de ce qui est semblable et de ce qui est différent de
l’autre notion. (…) Dans les recherches, on appelle ça le feed-back par extension
Les recherches soulignent également les techniques
contre-productives pour l’oral : mentions négatives jouant sur l’affect (…)
utilisation du registre « méta » alors que l’activité orale est
non-consciente (« il faut dire », « répète », « comment
ça s’appelle »), suremploi des questions fermées (« qu’est-ce que c’est ?
où il est ? quand est-ce qu’on ? » …).
Récapitulons
La relation langagière duelle adulte-enfant est, de loin, le
noyau dur de la pratique d’un maître qui vise l’acquisition de la langue et de
ses usages. Le plus souvent, l’initiative venant de l’enfant, le maître
intervient dans la ZPA, avec une
interaction adaptée.
Attention ! Interagir avec un enfant ne vaut pas dire,
qu’à l’école, un maître doit parler individuellement avec chacun des enfants et
tous les enfants successivement (…) le maître qui s’adresse à un enfant le fait
devant nombre d’autres enfants. Ceux-ci en profitent (…) notion d’enfants prioritaires (…)
Toujours en relation duelle, il arrive au maître d’entendre
un enfant qui vient de dire quelque chose qu’il interprète comme la trace d’une
connaissance « pas encore là ». A ce moment, il apporte tout
simplement cette connaissance à l’enfant. Il enseigne en amont de la ZPA. Cette manière d’interagir est absolument
décisive en milieu défavorisé, il ne faut pas s’en priver.
extraits de Langage et école maternelle, Mireille Brigaudiot, ed. Retz
extraits de Langage et école maternelle, Mireille Brigaudiot, ed. Retz
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