2.2.D. Des enfants qui comprennent, apprennent,
parlent et réfléchissent à propos de la fiction
La fiction est une notion que les enfants construisent
lentement jusqu’à 10 ans, âge où ils pourront dire de quelque chose « c’est inventé ». On appellera fiction les mondes présentant un cadre, des éléments et des
événements imaginés, actualisés dans l’ici et maintenant par du langage et/ou
des actions ou des images. (…)
Il vaut mieux éviter le terme « vrai » quand on renvoie à une histoire de fiction. On peut
utiliser les expressions « dans
l’histoire » par opposition à « dans la vraie vie ».
Les trois sources qui alimentent cette notion de fiction sont,
pour les enfants d’aujourd’hui :
- les jeux
symboliques spontanés qu’ils inventent et auxquels ils participent avec
d’autres,
- les dessins animés
qu’ils regardent régulièrement,
- les histoires que
les adultes leur racontent, avec un album et parfois sans.
° Les jeux symboliques
Formation Les jeux
symboliques chez les plus grands (4 à 6 ans)
On a vu les premiers jeux de faire-semblant qui
permettaient à des enfants de 4 ans de faire semblant à partir d’objets qu’ils
détournaient. Déjà à cet âge-là, ils vivent les événements imaginaires comme
s’ils étaient réels, ils « sont dedans » mais savent qu’ils jouent.
Ils font la différence entre entités réelles et
entités imaginaires. C’est ce qui va les conduire à « se dédoubler »,
inventant des jeux sans nécessairement avoir besoin d’accessoire.
On appellera ici jeux
de rôle les scènes jouées spontanément par des enfants qui :
- endossent provisoirement la totalité des actes et
ressentis d’un personnage,
- créent un cadre et des événements temporellement organisés,
- attribuent des rôles imaginaires à d’autres enfants
qui doivent s’intégrer au scénario,
- verbalisent, en discours direct, les jeux théâtraux,
et en discours indirect tout ce qui est « hors champ » :
attribution des rôles, réglage des déplacements et des accessoires,
« didascalies ».
(…) Au bout
du compte, plus les enfants comprennent les événements du monde réel et entrent
dans la rationalité, plus il est facile pour eux d’entrer dans la fiction et
les mondes merveilleux.
Conseils
°A tous les niveaux,
- bien faire soi-même la différence entre réel et
fiction : éviter les simulacres de type « la souris a mélangé les photos, il faudrait l’aider à les remettre dans
l’ordre » …
-valoriser et encourager les jeux de
rôle initiés par les
enfants,
° en GS, leur donner la possibilité de se
déguiser et d’inventer leur scénario.
° Les jeux symboliques
…surtout
quand ces supports présentent :
- un contenu
narratif identifiable (début, difficulté, résolution) et une durée adaptée à
l’âge des enfants,
- du suspense,
juste ce qu’il faut,
- des
dialogues et/ou des narrations accessibles à leur compréhension,
- une fin
supportable, de préférence heureuse.
Deux
motivations de départ mobilisent les enfants.
La première
réside dans le fait de retrouver des personnages
familiers : ils les ont déjà fréquentés dans des livres, ils ont déjà
vu le dessin animé, ils possèdent des figurines correspondant aux personnages
de fiction (…)
La seconde
motivation, chez les plus grands (après 4 ans) est le fait qu’il s’agisse de
personnages fictifs dont le héros est « un gentil ».
Dans cette
suite d’activités langagières « invisibles », les états mentaux des personnages sont
décisifs.
Conseils
° TPS et PS
- après de
nombreuses fréquentations de livres de type « séries », utiliser les
films d’animation correspondants (tels Petit Ours Brun, Tchoupi) et parler
ensuite avec les enfants
- leur
demander de choisir les films qu’ils veulent et écouter leurs
« arguments ».
° MS
- après une
bonne connaissance d’un conte découvert dans un album (Boucle d’Or et les trois
ours, les trois petits cochons, etc.) utiliser les films d’animation, sur
ordinateur et tablette, et parler ensuite avec les enfants,
- évoquer les
questions d’états mentaux pour aider à la compréhension,
- demander
aux enfants, en question ouverte, s’il y a des choses qu’ils ne comprennent
pas, et leur donner les réponses.
° GS
-
sélectionner quelques films ou dessins animés pour l’année (Dumbo, Schrek, La
prophétie des grenouilles, etc.) et ne pas hésiter à les montrer plusieurs
fois,
- les
présenter avant de les visionner et laisser ensuite les enfants réagir,
- discuter
avec les enfants de ce qu’ils ont compris, pas compris et donner des réponses,
- une fois
dans l’année, faire un détour explicatif au sujet des images « de la vraie
vie » par opposition à celles des histoires inventées : regarder, par
exemple, successivement, Microcosmos et Minuscule. Les documentaires sur les
fourmis aideront les enfants à comprendre que dans tout dessin animé, il y a
des emprunts au réel. C’est une entrée culturelle importante.
° Les histoires
Il s’agit ici
d’explorer ce que les enfants mobilisent comme activités langagières à partir des histoires de fiction.
Il y a 2
utilisation de livres d’histoire à bien distinguer pour les maîtres :
- raconter ou lire et c’est tout.
L’objectif « comprendre »
est alors pris dans sa dimension totalement subjective. Les enfants (comme nous
lorsque nous lisons un roman) en font ce qu’ils peuvent / veulent, c’est leur
vie psychique qui le décide, nous n’avons pas à empiéter sur elle. (…) A
l’école, on a appelé « moment de l’histoire » la plage de l’emploi du temps
systématiquement dédiée à cette écoute.
- raconter (et/ou lire) un livre choisi
auparavant pour en faire un support
d’activités langagières ciblées. Le maître va accompagner la compréhension
et l’exploration de l’histoire par différents moyens qu’on va présenter.
L’objectif « comprendre »
est alors pris dans sa dimension cognitive.
Les enfants vont enrichir leurs connaissances et les réorganiser à l’occasion
de ce travail.
(…) On dit
« raconter » quand on parle une histoire avec des mots de tous les
jours, en accompagnant les verbalisations de signalisations sur les
illustrations. (…) Une autre modalité sans lecture consiste à raconter sans
support entre les mains(…) C’est plus difficile pour eux mais ça leur apporte
beaucoup.
Aider les
enfants à mieux comprendre les histoires fictives est un enjeu important pour
la suite de la scolarité, lors des lectures autonomes futures. On le sait, les
enfants des milieux défavorisés ont toujours des difficultés dans ce domaine.
L’école maternelle s’inscrit donc dans une première action qui va se poursuivre
dans le temps.
Les obstacles
à la compréhension sont : les références culturelles à des éléments du monde inconnus, les
relations entre événements en terme de causalité
opaque, les inférences puisque
tout n’est jamais dit de manière exhaustive dans un récit
> TPS
et PS
Pour apprivoiser les petits aux histoires de fiction, les
auteurs choisissent souvent d’alléger la compréhension sur tous les plans que
nous venons d’évoquer : les personnages « ressemblent » aux
enfants destinataires de l’histoire (…). C’est pourquoi il m’est arrivé
d’appeler ces histoires des fictions
d’expérience personnelle.
TP
Formation
Cherches
des histoires très adaptées aux petits dans votre fonds de livres : ils
évoquent le trio papa-maman-bébé, la perte-retrouvaille d’un parent, les
exploits des petits, leurs jeux, leurs moments rituels de vie quotidienne,
leurs bêtises, leurs peurs, leurs maladies, etc.
A ce niveau de la scolarité, l’attention conjointe est idéale : un enfant de chaque côté de
l’enseignant qui parle un langage « ordinaire », nomme et montre les
personnages, explique ce qui leur arrive, renvoie aux expériences personnelles
des enfants. L’enseignant ne pose pas de
questions aux enfants. Il ne cherche pas à obtenir certains énoncés ni
certains mots. Il les laisse commenter eux-mêmes et rebondit sur leurs remarques. L’essentiel est d’être, à plusieurs,
« la tête dans l’histoire ».
Formation Le rappel de récit
Le seul moyen que nous possédons pour savoir un peu ce que
les enfants « gardent » de ces histoires dans leurs têtes est de les
proposer de les raconter à leur tour. Appelé « rappel de
récit » par les cognitivistes, le fait de re-raconter induit
des difficultés de verbalisation du récit alors que les capacités langagières
sont encore balbutiantes. Les maîtres de TPS-PS peuvent donc le faire, à
condition de tout accepter, puisqu’ils veulent non pas une restitution mais un essai narratif aussi modeste soit-il.
Quand on demande aux enfants de raconter à leur tour, ils
sont nombreux à cet âge à se raconter l’histoire dans leur tête, sans parler.
(…) Pour provoquer la verbalisation, on a inventé le jeu du livre à retrouver.
On choisit une série de livre (personnage identique)
racontés maintes fois, on en montre 3 aux enfants, puis on leur demande de
fermer les yeux pour bien écouter et montrer ensuite quel livre on a raconté.
On précise bien leur activité : « vous allez trouver quelle histoire je raconte seulement en entendant
sans les images, on sait faire ça quand on est grand. » Au bout de
quelques séances il est possible de proposer aux enfants, un par un, de
« faire la maîtresse ». Tout le monde cache les yeux sauf l’enfant
narrateur qui choisit et dit une histoire.
> MS
Les enfants étant plus grands, ils peuvent entrer dans des
mondes fictionnels plus « éloignés » de ce qu’ils vivent. C’est l’âge
où les contes traditionnels (ou leurs adaptations) commencent à être appréciés.
Les enfants n’en comprendront pas tout et c’est bien normal. (…)
Des recherches montrent ce qu’apportent les interactions de plus en plus
« distanciées » de ce qui est perçu sur le livre. (…) quand un adulte
raconte Cendrillon à un enfant, il peut mobiliser différents niveaux
d’abstraction, qui correspondent en quelque sorte à son adaptation à l’âge de
l’enfant (…)
- en focalisant l’attention
de l’enfant sur une image (…)
- en reliant l’objet
représenté à d’autres (…)
- en incitant l’enfant à faire des inférences
Formation Zones de travail
pour la compréhension de l’histoire
(…) On définira la notion de personnage ainsi : élément « vivant » de la
narration au sens où il parle et/ou ressent, ce qui lui attribue un rôle actif
dans le schéma narratif. (…)
La maîtresse explique et fait le lien entre le statut de personnage de la galette, son caractère et
l’illustration.
(…) obstacles
de compréhension qui relèvent des connaissances
du monde (ex la citrouille dans
Cendrillon)
Tous ces
exemples montrent l’importance de l’analyse
préalable des histoires par le maître.
On voit
donc que les états mentaux et les
connaissances du monde sont les critères les plus importants pour anticiper les
obstacles à la compréhension d’une histoire.
Lors d’une première présentation en MS, il faut commencer par expliquer aux enfants leur « travail » :
« c’est une nouvelle histoire, je
vais la raconter et vous montrer les images du livre, et vous, vous écoutez
bien, vous faites l’histoire dans votre tête, et après vous direz ce que vous
avez compris. »
S’agissant d’un récit oral, l’enseignant peut faire des
détours de compréhension (…), montrer des objets (…), et bien sûr énormément paraphraser. Ce sont toutes ces verbalisations
qui expliquent le fait que les enfants apprennent beaucoup de vocabulaire avec les histoires
illustrées.
Dans les échanges
qui suivent, l’enseignant se contente de préciser et/ou de rectifier de
mauvaises compréhensions (étayage).
Les rappels de récit
peuvent faire l’objet d’habitudes régulières. Le niveau de compréhension
attendu est la mention des personnages, leur difficulté, l’événement principal
et la fin. Il faut donc bien connaître ce schéma pour pouvoir écouter les
enfants et interpréter leurs rappels. Il ne faut rien exiger, surtout pas l’ordre
des scènes vues dans le livre car l’évocation de l’histoire est une activité
langagière, elle est une reconfiguration mentale d’une fiction, pas un récit
par cœur.
Et les rappels de récits sont mentionnés dans le « carnet de progrès » parce qu’ils
sont des évaluations d’apprentissages importants.
L’habitude de la tâche dite de « remettre des images dans l’ordre » n’est pas sans poser
problème. Avec l’objectif de mettre les enfants en langage, on peut aménager
cette tâche de maintes façons : choisir quatre scènes (pertinentes) et
demander à un enfant de raconter l’histoire en s’aidant de ces images, demander
aux enfants ce que disent les personnages sur une scène particulière, raconter
soi-même l’histoire connue, les enfants alignant les illustrations au fur et à
mesure qu’ils entendent le récit, etc. Oui, la présence de l’enseignant est
nécessaire dans de tels ateliers. C’est
une habitude à prendre.
Autres pratiques à repenser : « l’exploitation d’un album » (…)
Les albums sont des sources inépuisables d’activités cognitives et langagières
pour les enfants, inutile de chercher d’autres « exploitations ».
Par ailleurs, les coins-bibliothèques
doivent être bien pensés et on doit leur donner un statut (…). Dans la
répartition des ateliers, certains enfants vont, chaque jour, dans cet endroit
particulier qu’il faut valoriser : « là, vous faites un travail de grand, vous écoutez une histoire et vous
essayez de bien la comprendre. » Ce n’est pas une simple occupation. C’est
aussi l’année où ils peuvent démarrer les prêts
de livres.
Enfin, c’est souvent au cours de la MS que se jouent les
inégalités qui vont ensuite s’aggraver !! Les enfants prioritaires doivent
donc être avec le maître, chaque jour, regroupés pour une activité langagière
particulière, avec des livres notamment.
> GS
Même s’il est vrai qu’on peut raconter des histoires plus
compliquées aux grands, on a souvent trop tendance à les choisir trop
complexes.
En GS, on peut dire aux enfants que ce qui est intéressant
dans une histoire est de toujours comprendre
plus, et qu’on n’a jamais fini. Cette tension, volontaire, est un but de la GS. On sait que c’est gagné
quand ils posent des questions. Les questions doivent venir des enfants, pas
des maîtres. Car l’une des attitudes magistrales les plus discriminantes en défaveur
des enfants prioritaires reste l’habitude
des questions du maître. (…) Dans
cette optique, les maîtres doivent abandonner les questions fermées portant sur
des éléments du contenu de l’histoire (notamment questions en qui ? où ?
qu’est-ce-que ? avec des verbes « dire », « faire », « être »
pour les remplacer par des questionnements : ce
sont des interrogations sur les activités cognitives des sujets enfants
eux-mêmes. Le maître ne sait pas ce que les enfants vont répondre. (…°
Discuter de tout ça avec les enfants est une façon de leur
faire prendre conscience de c’est le travail d’un écrivain. Il faut leur
montrer que l’auteur, lui, a les réponses à ces questions, mais qu’il les
laisse comprendre aux enfants qui entendent l’histoire.
Conseil
° A tous les niveaux,
Une entente d’équipe
des maîtres est nécessaire pour assurer une progressivité des
apprentissages chez les enfants. Elle dépend des choix des livres et des
manières de faire des enseignants : on « apprivoise » les petits
à la fiction avec des histoires proches de leurs vies, on aide les moyens à
comprendre un minimum des histoires plus « lointaines », on met les
grands en réflexion sur les tenants et les aboutissants de fictions plus
complexes.
extraits de Langage et école maternelle, Mireille Brigaudiot, ed. Retz
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